Prochainement, le Président de la République devrait indiquer les grandes orientations  d’une réforme territoriale attendue.

L’exercice est souvent délicat à en juger par les 40 dernières années de réformes, qui ont certes posées quelques grands principes sortant le pays de sa centralisation structurelle,  mais trop souvent inachevées ou confisquées par des débats stériles ou techniques qui affaiblissent l’action et le concret.

Après tout,  proposer une réforme territoriale n’est-ce pas pour qu’elle soit efficace, lisible et au service des citoyens ?

Après l’examen de l’histoire très éclairant, nous pourrions en tirer le bilan et modestement proposer des voies de reflexion.

Le maire d’une commune d’ile-de-France est particulièrement sensible et parce qu’il est ancré localement, n’oublie jamais les réalités socio-économiques et les spécificités de son territoire.

 

I - Près de 40 ANS DE DECENTRALISATION

Au mois de mars 1968, le Général de Gaulle prononce cette phrase: « L’évolution générale porte en effet notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation qui lui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité […] ne s’impose plus désormais pour assurer la cohésion nationale ». La France n’a alors pas encore fait lechoix de la décentralisation et l’échec du référendum de 1969, sur la régionalisation et laréforme du Sénat pour représenter les collectivités, amènera de Gaulle à quitter le pouvoir.

Les lois de décentralisation ayant par essence vocation à organiser la dévolution aux collectivités territoriales des compétences de l’État.

La France, tente,  à chaque réforme, de dessiner une perspective qu’elle n’achève pas, additionnant les échelons et les intervenants  tout en diluant les responsabilités. Autre déficit, Les collectivités ne sont pas associées, autrement que par les élus par l’effet du cumul de mandat, à l’élaboration des différentes réformes de décentralisation et plus généralement aux différentes réformes territoriales. Il laisse aujourd’hui la France au milieu du gué d’un État centralisé qui n’a pas fait ses choix. Évoquons les principales réformes.

1er acte de décentralisation : 1982- 1984 :

À cette époque la France ne comptait aucune Région, aucun établissement public,  36 000 Communes, et 100 Conseils Généraux.

Sous la présidence de François Mitterrand, Gaston Defferre, Pierre Joxe, Jean-Pierre Chevènement portent alors  la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et  libertés des communes, des départements et des régions qui prévoit la suppression de la tutelle de l’État sur les collectivités locales, la transformation de la Région et du Département en collectivités territoriales de plein exercice et le transfert du pouvoir exécutif du Préfet au Président du Conseil Général ainsi que l’élection des conseillers régionaux au suffrage universel direct.

Enfin, notons la création d’un statut propre à la fonction publique territoriale par les lois statutaires du 13 juillet 1983 et du 26 janvier 1984.

Néanmoins, on note constate déjà  une confusion des compétences entre les différents échelons de collectivités et l’absence de mesures d’accompagnement pour promouvoir la démocratie et la citoyenneté locale.

2ème acte de décentralisation : 2002-2010

Dans ces années,  36 000 communes, 26 Conseils régionaux, 101 Conseils généraux, 2 581 EPCI à fiscalité propre, 15 000 syndicats intercommunaux composent le paysage institutionnel.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin porte la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui inscrit dans la Constitution le concept de république décentralisée et de nouveaux principes relatifs à la répartition des compétences entre collectivités territoriales, à l’autonomie financière des collectivités territoriales et à la démocratie locale:

Le principe de subsidiarité :

Les collectivités territoriales prennent les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mise en œuvre à leur échelon, ainsi  l’État  transfère davantage de responsabilités aux collectivités territoriales.

L’absence de subordination d’une collectivité territoriale sur une autre renforce ce mécanisme mais est amoindri dans son effet par la notion de « chef de file ».

« Lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours d’une ou plusieurs collectivités, la loi peut autoriser l’une d’entre elle ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ».

Ce principe implique que l’articulation des compétences au niveau local se fait par la voie conventionnelle (contractualisation).

Le droit à l’expérimentation :

« Les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque la loi ou le règlement l’a prévu, déroger à titre expérimental aux dispositions législatives et règlementaires qui régissent leurs compétences »

L’expérimentation est soumise à conditions. Elle n’a pas de caractère spontané. Elle doit être prévue et organisée par la loi. Elle ne peut porter que sur l’exercice des compétences. Par conséquent elle ne peut concerner la gestion ou le statut des personnels

L’autonomie financière et fiscale des collectivités

 « Les recettes fiscales et autres ressources propres des collectivités territoriales représentent pour chaque catégorie de collectivités une part déterminante de l’ensemble de leur ressource ».

Part déterminante ne signifie pas pour autant importante et l’on a assisté à la suppression régulière  des ressources fiscales des collectivités territoriales comme lors de la réforme de la taxe professionnelle en 2010..

Par ailleurs,  
« Tout transfert de compétence entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution des ressources équivalentes… »
« Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée des ressources déterminées par la loi.
 
La  Péréquation
 
Comment concilie décentralisation et égalité ? Car  plus les collectivités territoriales reçoivent de compétences, plus les contribuables sont imposés et  plus la différence entre collectivités riches et pauvres s’accroit.
En conséquence, « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre collectivités territoriales ».

La démocratie locale

 

Ce principe comprend la création d’un référendum décisionnel locale, l’exercice du droit de pétition, le référendum statutaire (consultation des électeurs en cas de création de collectivités territoriales dotées de statut particulier).
La Loi du 13 août 2004 relative à la liberté et à la responsabilité des collectivités locales prévoit – de nouveaux transferts de compétences comme  les routes aux Départements
Néanmoins ces  transferts de l’État ne sont pas sécurisés financièrement à long terme.
Par ailleurs on note une inflation des agents du fait des doublons entre collectivités (communes / EPCI).

3ème acte de décentralisation depuis 2012 : MAPTAM, Carte régionale et loi  NOTRe… confusion et goût d’inachevé

Depuis 2012, des réformes multiples de l’organisation territoriale ont été menées mais qui n’ont pas véritablement touchées à la nature même de la décentralisation c’est-à-dire au transfert d’un pouvoir ou d’une compétence de l’État vers les collectivités.

On retiendra la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite, « NOTRe » qui après la loi MAPTAM et la loi relative aux régions, parachève  la réforme territoriale de la présidence de François Hollande. Elle se veut celle de la répartition des compétences pour plus de lisibilité et d’efficacité. Ainsi, elle revient sur une disposition de la loi MAPTAM et supprime partiellement la clause générale de compétence. Pour ce qui concerne la répartition des compétences, le résultat issu des débats parlementaires et des compromis politiques est en demi-teinte. La région est renforcée, via un schéma prescriptif, dans son rôle en matière de développement économique, domaine dans lequel elle devra articuler son action avec celle des métropoles ; elle gagne une partie du volet transports ; le seuil de formation d’une intercommunalité à fiscalité propre est relevé ; mais ces réformes souffrent d’un même mal : illisibilité et technicité.

Le « Big Bang territorial » annoncé n’a pas eu lieu.

En outre, cette loi n’a pas permis de statuer définitivement sur la suppression ou le repositionnement du rôle des conseils départementaux et s’il fallait élire les conseillers des intercommunalités au suffrage universel direct.

Par ailleurs,  l’installation du Haut conseil des territoires, qui aurait été utile à l’articulation du dialogue et la coopération entre l’administration centrale  et les instances territoriales n’a pas été fait. D’autant plus nécessaire  dans le contexte de la fin du cumul des mandats.

Enfin, les questions de la réalisation d’économies en lien avec l’augmentation de la taille des régions et l’articulation entre régions et métropoles dans le champ du développement économique ne sont pas résolues.Sommaire

II- un contexte économique et social contraint et le fait métropolitain

La France présente depuis plus de 30 ans la caractéristique d’un chômage structurellement élevé, « corrigé » par des dépenses publiques importantes et par une faible croissance. Certains diront que c’est le prix du maintien d’un certain modèle social français.

Durant les crises antérieures (74, 82, 92), les budgets publics et sociaux, ont soutenu l’activité économique en jouant le rôle d’amortisseur de crise. L’emploi public et les prestations sociales ont protégé les niveaux de revenus des ménages et la consommation. Il est en tout autrement aujourd’hui. La crise des dettes souveraines induite par 30 ans de déficits publics et de recours à l’emprunt pour combler les déficits de fonctionnement est passée par là.

L’économie de nombreux territoires en déclin dépendant  massivement de l’emploi public et des mécanismes de consommation le tarissement de la manne publique  va rendre les territoires plus vulnérables.

Certains territoires sont plus durement atteints que d’autres.

Les Régions les plus touchées sont industrielles, et sans véritables métropoles capables de tirer la croissance du territoire. Les régions et villes du nord-est de la France et celles situées en  Bourgogne, Auvergne, limousin, Hautes Pyrénées, concentrent les pertes d’emplois.

Les Régions épargnées jusqu’à ce jour se situent à l’ouest et au sud de la France : Aquitaine, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte-D’azur, Corse.

Ces territoires bénéficient d’une économie résidentielle (retraités) et de consommation liée au tourisme.

Dans ces Régions, les emplois essentiellement non marchand ont joué le rôle de compensateur de crise (secteur sanitaire et social, administration publique locale, enseignement).

Dans l’ensemble du pays, les grandes métropoles résistent mieux à la crise. Elles ont pu dépasser la désindustrialisation en se tournant vers des secteurs d’activités porteurs d’emplois qualifiés.

Les habitants des territoires les plus affectés quant à eux se trouvent par ailleurs piégées par des mécanismes d’immobilité résidentielle (logement, réseaux familiaux et amicaux, emploi du conjoint) qui les empêchent de quitter les territoires sinistrés.

Enfin, depuis 2010 une corrélation nette est établie entre le vote de protestation et l’origine géographique. Ce vote n’est plus exclusif au centre urbanisé mais s’est élargie à la France périurbaine et  rurale, souvent déclassée socialement et souffrant de l’absence des services publics. 

Ce tableau un peu sombre est renforcé par le phénomène de métropolisation qui trouve un fondement économique objectif. Une entreprise comme tout agent économique cherchera à réaliser des économies d’échelles et produira dans les centres les plus attractifs où les facteurs de production sont disponibles et efficients.

Le redressement productif fondé sur des métropoles jugées plus performantes implique un creusement des inégalités territoriales.

III- Bilan et perspectives :

Dans un discours prononcé le 21 juin 2018 à Quimper, le chef de l’État (certains y verront un symbole puisque c’est au même endroit que le Général De Gaulle s’est exprimé en 1969) a souhaité « rompre avec une conception jacobine de l’exercice des responsabilités publiques ». La région Bretagne y a été présentée comme  laboratoire du futur droit à la différence des territoires. Avec pour corolaire des délégations de compétences venues de l’État. Ce droit à la différence serait inscrit dans la prochaine révision constitutionnelle.

La Région Bretagne a  prévu de signer son contrat de maîtrise des dépenses  de fonctionnement avec l’État et la création d’un guichet unique notamment en matière d’aide aux entreprises ou  le secteur de la culture marquerait ce mouvement de contractualisation.

Comme nous l’avons vu plus haut et peut-être pour se départir d’une image trop métropolitaine, le chef de l’État a souligné la spécificité de la région Bretagne qui compte un maillage de 54 villes petites et moyennes constitue « un modèle de développement territorial équilibré ». Grâce à « la confluence des bonnes volontés », la région associe « croissance des métropoles et maintien d’activité dans les autres territoires ».

Enfin, le Président a évoqué une autre piste de réflexion, la fin des projets pharaoniques tels que celui de la LGV pour concentrer les efforts sur le désenclavement routier et la mobilité du quotidien.

On ne peut que souscrire à ces intentions,   faire mieux avec moins, conserver la présence physique du service public, pouvoir expérimenter et agir de façon pragmatique. La clarté des niveaux de compétences et de responsabilités est à cet égard indispensable.

On ne peut  qu’espérer que les erreurs  du passé ne soient pas reproduites, en évitant tout d’abord le  découpage territorial qui voit se superposer une quantité d’échelons aux périmètres d’action aussi peu viables que difficilement lisibles. Ni la réforme de la carte régionale, ni l’entrée en vigueur des métropoles n’ont éclairci un paysage administratif bien trop éclaté. Au contraire, ces réformes n’ont fait que complexifier l’organisation territoriale en rajoutant de nouvelles structures sans remettre en cause les plus anciennes. Il en découle le « mille-feuille territorial » et  l’absence de vision ou de projet  politique dans la délégation de compétences aux territoires.

Livry-Gargan le vit quotidiennement depuis son appartenance à la Métropole du Grand-Paris par l’établissement public territorial Grand Paris-Grand Est.

Il faut aussi souligner l’échec sur le plan financier puisque la situation des comptes des collectivités territoriales, même si elle est pour des raisons structurelles moins dégradée que celle de l’État, s’est détériorée au cours du temps. C’est en effet au sein des administrations publiques locales que les progressions de dépenses ont été les plus rapides ces dernières décennies. Les compétences et les moyens afférents qui leur ont été transférés par l’État en donne une partie de l’explication mais c’est  surtout qu’au-delà de ces nouvelles missions, la prodigalité de l’État en matière de dotations et des pouvoirs qui leur ont été donnés sur la fiscalité locale, qui expliquent cette trajectoire. Certaines collectivités sont parfois dans l’impasse.

L’État réduit les dotations qu’il verse, le levier fiscal ne peut plus être mobilisé et c’est l’investissement qui en souffre, alors que leurs dépenses de fonctionnement demeurent très dynamiques.

Enfin un point crucial, doit être évoqué : Les collectivités ne sont presque jamais associées à l’organisation globale des politiques publiques ni à l’élaboration de la norme, qui régit pourtant l’ensemble de leurs actions. Le  pouvoir d’expérimentation, constitutionnalisé en 2004, est dans les faits abandonné. L’efficacité et l’efficience des politiques publiques en souffrent beaucoup.

La réforme qui devrait être présentée prochainement devrait s’attacher à clarifier définitivement les  compétences entre les différents niveaux de collectivités, réduire aussi des « zones grises » des politiques partagées entre plusieurs collectivités.

En accompagnement de cette réforme institutionnelle, la réforme du statut de la fonction publique non pas  comme un totem mais parce que dans la réalité la tendance est à la contractualisation et au rapprochement avec le droit privé pour la gestion des personnels. Le plus mauvais employeur est parfois l’État ou certaines collectivités.

Dans le même ordre d’idée, l’association du secteur associatif et privée devrait être normalisé et encadré.

On peut aussi songer à renforcer la mutualisation des services publics qui peut se révéler comme une source déterminante d’efficience des politiques et services publics. Cette action doit toutefois être menée en concertation avec les femmes et les hommes qui assurent au quotidien les services à la population. Dans ce cadre l’élu local, chef de l’administration est le mieux à même d’y parvenir.

Enfin, une contrepartie nécessaire et mesurée à l’autonomie et au droit à l’expérimentation, est la transparence publique. Le citoyen doit pouvoir savoir précisément comment les deniers publics sont orientés.